Courir 35 km par jour pendant 21 jours : l'aventure vous tente t-elle ? Tel est le défi sportif qu'Olivier Goujon, amoureux des grandes traversées en sky running, a relevé sur la Trans'Alpes. Parcourue au début de l'été 2022, cette traversée du nord au sud des Alpes occidentales représente plus qu'une simple épreuve physique. Elle s'impose comme un voyage introspectif, une quasi-odyssée personnelle le long d'un itinéraire sauvage et technique qui relie les rives du Lac Léman à celles de la Mer Méditerranée, le paisible village de Meillerie à la ville côtière de Menton. Égrainer les chiffres de ce défi physique a de quoi donner le tournis : plus de 600 km et 50 000 mètres de dénivelé positif parcourus en 21 jours. Mais pourquoi donc s'infliger autant d'effort en si peu de temps ? "Parce que c'est beau et parce que je suis heureux là-haut", répond sans détour Olivier Goujon, dont les souvenirs encore frais lui rappellent d'excellents souvenirs. Bien sûr, la Trans'Alpes n'est pas à la portée de tous y compris pour des randonneurs pourtant habitués aux GR. Car l'itinéraire n'est autre que la fille de la mythique Haute Route des Pyrénées ("la HRP"), un itinéraire sauvage voulu au fil des crêtes et sans balisage qui relie l'Atlantique à la Méditerranée, Hendaye à Collioure. C'est pourtant munie d'une simple paire de chaussures de trail et d'un sac de 3 kg que le natif de Draguignan a parcouru d'une traite l'itinéraire découpé en 41 étapes qui ondule entre la Suisse, l'Italie et la France. "Si j'ai envie de m'arrêter, je m'arrête. C'est l'avantage du trail aventure. Le matin au refuge, les gens sont pressés alors que je suis toujours attablé avec mon café". Si le premier topo guide officiel de la traversée des Pyrénées date de 1974, l'œuvre de Georges Véron aujourd'hui décédé, la Trans'Alpes ne fut elle tracée qu'en 2010 mais avec la même philosophie originelle : le plus direct possible, avec des sommets faciles à plus de 3000 m d'altitude, des refuges gardés et des coins sauvages "pour éviter les routes et les lieux de civilisation", explique Jérôme Bonneaux, père fondateur de la variante alpine. Aujourd'hui installé dans les Vosges, ce professeur de physique-chimie qui randonne dorénavant en bon père de famille reste un insatiable amoureux des Pyrénées avec plus de 10 traversées à son actif. C'est lui qui publia la première édition du guide de la Trans'Alpes aux Éditions du Mont Rouch après six mois de travail cartes en main et deux années de repérages. S'il nous confie que "98% de ce qu'il avait imaginé a été réalisé", il garde un souvenir ému "de l'accueil à l'italienne, du génépi avec les gardiens du refuge de Grenairon et des longues étapes accidentées dans le massif de l'Argentera où il valait mieux passer par beau temps". Il raconte aussi avec émoi le souvenir glaçant du recul des glaciers "qui sont indiqués sur les cartes mais dont il ne reste parfois plus que quelques mètres de glace". Si tous s'accordent à dire que les portions sauvages sont moins nombreuses dans les Alpes, particulièrement sur la partie Nord de l'itinéraire du fait de la présence des stations et des remontées mécaniques, il n'en demeure pas moins que les passages à plus de 3000 m, les températures avoisinant zéro même en plein été ou la beauté des différents massifs traversés laissent des souvenirs mémorables. "Le plus beau moment de cette traversée était à côté de la maison : au sommet de la Dent d'Oche lors d'un lever de soleil sur le lac Léman, les crêtes et le Mont Blanc" raconte Olivier. La montagne change, les pratiques aussi. Les randonneurs "aux grosses godasses et aux sacs de 20 kg" auxquels appartient Jérome Bonneaux voient défiler sur les sentiers de plus en plus de "collants baskets", des pratiquants légèrement équipés qui cheminent en courant. Futur accompagnateur en montagne, Jérémy Bigé a lui aussi parcouru la Trans'Alpes au cours de l'été 2023 qu'il a d'ailleurs choisi d'enchainer avec le GR 20. "À Menton, j'ai sauté dans un ferry pour continuer", raconte-t-il depuis les Ménuires où il démarre une saison en tant que moniteur de ski. Si l'évidente raison de ne pas trouver d'autres personnes disponibles avec les mêmes capacités physiques est souvent invoquée, c'est davantage la flexibilité de progresser librement et d'être au plus près de la nature qui justifient leurs traversées en solitaire. Jérémy partage ce goût du dépouillement. Avec ses baskets de trail, son opinel n°2 (pesant 8 g) et pour seul abri nocturne une simple toile de tente tarp, sorte de bâche robuste et imperméable pour avancer, il apprécie pouvoir "se poser quand je veux, là où je veux". Pour Olivier qui habite en vallée de Chamonix, sa pratique du trail s'oriente plus pour le goût des aventures alpines que pour la quête d'une performance chronométrée. Il aime d'ailleurs citer Hilary Gerardi, une athlète américaine installée à Chamonix, qui allie performance sportive (Nouvelle détentrice du record féminin Chamonix > Sommet du Mont Blanc en 7h25 à l'été 2023) et connaissance aiguë de l'environnement montagnard. L'aventure plus que la performance : tel est donc le credo de ces montagnards avertis qui assument un style léger et solitaire, même à l'ombre des glaciers alpins.